Lorenzaccio
Lorenzaccio
ou
Camarade Renzo
( sous-titre ajouté )
d'après
Alfred de Musset
( 1810 - 1857 )
Romain Dubos Le duc Alexandre de Médicis
Jean-Baptiste Forest Valori, Monsieur Mouche, Bindo,
le fossoyeur, le crieur
Romain Franzini Lorenzaccio
Michel Mourtérot Le mendiant (Philippe Strozzi)
Adaptation et mise en scène
Michel Mourtérot
( chef de troupe )
Photographies : Martine Béreau et Diane Shenouda
Avertissement
En pages 6 et 7 du livret, à l'attention du lecteur qui connaît la pièce ( nous pensons particulièrement aux enseignants ), mais aussi à celle du profane, toutes les scènes de notre montage sont déclinées dans l'ordre chronologique.
A noter que le dernier monologue du Duc ( voyez la quatrième de couverture ) n'appartient pas à "Lorenzaccio". Il est tiré des "Caprices de Marianne", du même auteur. |
Me voilà couché dans la rue, moi Lorenzaccio... Suis-je un satan ?..
Ah, pourquoi y a t-il dans tout cela un aimant, un charme inexplicable ? |
Ah ! Massacre ! Ah ! fer et sang !
La corruption est-elle donc une loi de nature ?
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Hé, Renzo ! On t’excommunie en latin !
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Genèse d'un spectacle, preuve irréfutable de la Troupe
par Michel Mourtérot
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 Allez savoir pourquoi, il y a de ces pièces qui vous poursuivent, à moins que vous ne les poursuiviez vous-même. Lorenzaccio est de celles-là. Pourtant, sans elle, les années ont passé. Sans que jamais elle ne fut ne serait-ce que mise en perspective. Feinte mon attirance pour elle ? Quoi qu'il en soit, j'avais une certitude, qui me freinait absolument : la conscience de la difficulté de tomber sur le garçon qui deviendrait Lorenzo, et s'ajoutait celle, un peu honteuse, |
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d'avoir, durant bien trop longtemps, à m'interdire de le jouer moi-même... Et le nombre incroyable d'acteurs a priori indispensables à l'histoire ne m'encourageait pas. Il n'empêche, régulièrement,une mouche - peut-être intelligente ? - entrait dans mon oreille ; elle m'embêtait, me taquinait, comme me réclamant de l'attaquer enfin cette pièce. Mais non ! Toujours non ! De plus, "sachez, petit insecte, que ma Troupe, si vivante hier, après une saison sabbatique, sous mes yeux impuissants, s'est éteinte à chaque lendemain ! Son effectif rendu à peau de chagrin ! Et croyez-moi, il est bien difficile de nos jours de rencontrer des comédiens impliqués et fidèles ! Je le sais ! Je le vis ! " Alors, non, impossible ce projet... Jusqu'au moment où, très désireux de me trouver sur la scène avec un seul acteur, afin de mieux saisir l'art de la Comédie, de creuser ce lien privilégié qui peut unir les interprètes au service des auteurs, j'ai imaginé de ne m'attarder que sur Lorenzaccio et son cousin, le duc Alexandre de Médicis, que je jouerais ici. La relation des deux personnages n'étant bien sûr qu'un prétexte à mon humble et banale recherche. J'invitais un acteur aimé de la maison à tenir le rôle de Lorenzo, mais il déclinait. Je gardais cependant cette idée dans mes poches. Et puis un jour - ô chance ! - j'ai vu entrer dans mes cours de théâtre un jeune homme aux allures possibles de Lorenzo, un autre à celles du Duc. A cette heureuse rencontre, discrètement, je suis revenu à la lecture de l'œuvre de Musset, et de pages en pages, évidemment guidé par mon idée toujours vivace, je ne retenais que Lorenzaccio et Alexandre. Les autres protagonistes, même ceux essentiels, fondaient dans le brouillard. Petit à petit, le projet s'est forgé. J'ai fait des tentatives de montage, en essayant, bien sûr de ne garder que les deux rôles. Je n'y suis pas parvenu car quelques personnages ont fini par se révéler incontournables. C'était bien à prévoir ! Enfin, j'ai abouti à Camarade Renzo. Dans l'espoir qu'il n'y ait pas forfaiture, que demeure dans notre adaptation ce qui me semble être finalement le squelette de l'œuvre : la lutte secrète et douloureuse du prince romantique, épris d'un unique projet : tuer la tyrannie. |
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Notre Lorenzaccio, notre Camarade Renzo
Je le confirme, celles et ceux qui connaissent la pièce ne la retrouveront ni dans son intégralité, ni dans son ordre, ni dans le nombre de ses intrigues et de ses personnages. Rien d'original ni d'étonnant dans notre démarche. Voilà une œuvre qui a été considérée injouable tout au long du XIXème siècle. N'oublions pas que son auteur lui-même l'avait écrite pour la lecture uniquement, la glissant dans son recueil "Spectacle dans un fauteuil "... Il a fallu attendre plus de soixante ans après sa rédaction pour la voir jouée dans un théâtre. C'était en 1896, et depuis, jamais sûrement, elle n'a été donnée entièrement. Chacun y allant de ses arrangements ; et il est amusant de savoir que Lorenzo n'était interprété que par des femmes. Peut-être pensait-on que seule une actrice pouvait être crédible dans l'ambivalence, la fragilité, la ténuité du personnage ? Gérard Philipe, mis en scène par Jean Vilar, aurait été le premier homme à incarner ce personnage mythique.
A nous, maintenant ! Oui, j'aurais vraiment voulu ne raconter que l'histoire de Lorenzaccio et de son horrible parent ; elle est si dense, si trouble, la relation de ces deux pantins, si excitante théâtralement. Mais très vite la pièce a résisté, ou Musset. En effet, comment faire disparaître les républicains de Florence, si influents dans les événements et les jours des jeunes Médicis ? Quelle imbécilité d'avoir envisagé de ne mettre en scène que ces deux-là ! A moins d'écrire sa propre pièce et de ne surtout plus la titrer Lorenzaccio, sous peine d'imposture ! Enfin, après des heures de répétitions, de réflexion, d'allers et retours dans le bouquin, prisonniers de mes envies, de nos moyens, plus conscient chaque jour de la valeur de l'œuvre, plus en devoir donc de la respecter, nous avons accouché de notre Camarade Renzo.
Oui, c'est de Renzo, de l'intrigue qu'il trame, dont il est question dans notre version ; et forcément du Duc, auquel il est collé, tout le temps, ou presque. Sous le costume d'un mendiant, nous faisons grandement apparaître Strozzi, honorable figure de l'opposition républicaine, mais nous laissons de côté ses fils, dont le combat pourtant est une deuxième intrigue ; et nous ne faisons qu'évoquer sa fille Louise,morte assassinée. D'autre part, point de Cardinal Cibo, éminence grise, troisième pion intrigant, mais sans incidence sur ce qui nous préoccupe. Nous avons coupé les belles scènes qui nous font aimer la mère de |
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Lorenzo, sa tante, la Marquise de Cibo, émouvante maitresse du tyran, ainsi que Tébaldéo, fragile artiste-peintre. De ces deux-là, on a récupéré quelques sûres répliques. Les personnages du Fossoyeur et de Monsieur Mouche sont de notre invention ; en de rares endroits, pour l'articulation du montage, nous avons dû user de notre humble plume. |
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Notre histoire...
Florence, la nuit tombante. Un vieil homme, caché sous ses habits, le pas méfiant, entre, et crache ! Avec force, il dénonce le nouveau maître de la cité, l'infâme Alexandre de Médicis. (1) Subrepticement, deux nonnes l'interrompent ; heurté par leurs rires quand elles devraient pleurer les malheurs de la ville, il attaque ! Mais les femmes sont des hommes ! L'une est le tyran lui-même, et l'autre son cousin, Lorenzo de Médicis ! Voilà le donneur de leçons molesté, contraint à se sauver, (2) laissant nos princes travestis à leur conversation obscène... (3) La place vide, le mendiant revient, évoque son passé d'homme libre, mais sourd aux cris des opprimés. Chargé de culpabilité, de peines et de fatigue, il s'endort. (4) Des chants réveillent l'homme. De jolis masques chantent, dansent. On reconnaît le Duc et son Lorenzo. Ils sont saouls, se perdent dans des gestes indécents, et violents de nouveau à l'égard du miséreux. Sur un balcon paraît Catharina, la tante de Lorenzo. Le Duc l'exige dans son lit, mais la belle est difficile. Peu importe, le neveu se fera l'entremetteur... Sur cet ordre, le Duc, abandonne son complice. (5) |
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- Prends garde à toi, Philippe, tu as pensé au bonheur de l'humanité...
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Dégrisé, Renzo s'adresse au mendiant resté assis sur une pierre ; sans crainte, ce dernier clame son patriotisme républicain et l'amour de sa famille. Avant qu'ils ne se quittent, le prince invite l'inconnu à venir le lendemain dans son palais... (6) Il est midi. Valori, grotesque messager du pape, prévient le Duc des actions honteuses du jeune Médicis, et des dangers qu'il court à le garder auprès de lui. Renzo, les rejoignant, raille le prêtre mais obligé par le Duc à saisir une épée, il tombe évanoui. Valori doutant de cette pâmoison est chassé par le Duc, certain du dévouement de "Renzinetta". Soutenu par le mendiant qui passait, le prince s'en va dans son palais, invitant sa "béquille" à le suivre de loin... (7) Avant d'obtempérer, l'homme s'inquiète du trouble apparent de Renzo, de la haine qui salit tant la ville. (8) La place reste vide. |
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... ou l'intrigue retenue
Soudain, des cris, des coups ! En un éclair, on voit Lorenzo s'écrouler sur son lit, le mendiant épuisé l'imitant. Le prince est en délire ! Le mendiant, n'y tenant plus, dévoile sa véritable identité. Il est Philippe Strozzi ! Renzo, qui le croyait à Venise, se jette dans les bras de son ami, et avoue son projet d'assassiner le Duc (9). Seul sur son lit, le conspirateur voit ses pensées interrompues par Bindo, jeune républicain, soucieux du loyalisme de Lorenzo. Venu savoir la suite du rendez-vous galant, Alexandre interrompt l'entretien. (10) Sur la "Place des Bains", il fait un grand soleil. Eventé par Monsieur Mouche, à demi-nu, le tyran pose pour Lorenzo ; tout à son plaisir, il joue de la mandoline. Sur le point de s'en aller, il ne voit plus sa cotte de maille ! Le Duc est défait, rendu vulnérable ! Panique, rage, hystérie ! Mais assez vite, Renzo apaise le despote affolé, l'heure du plaisir avec Catharina approche... (11) Alexandre tombe dans un étrange lyrisme (Monologue des Caprices) ; à cet instant, avec force, et provocation, Strozzi lui lance qu'il est encore possible d'être un grand prince ; excédé, le duc poignarde l'homme. (12) Renzo prévient les républicains de son geste fatal (13) ; il court dans sa chambre. Alexandre qui croyait y jouir y meurt. (14) Un crieur public annonce les incroyables et mirifiques récompenses promises à celui qui tuera Lorenzo, traître à la patrie. (15)
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Ambiances et mise en scène pour un vrai théâtre populaire
En voilà bien une œuvre, faite pour nous, la Troupe du Théâtre des Loges ! A nos goûts, notre expérience, notre savoir-faire. Elle porte tant de théâtralité, de poésie, de couleurs, de forces, de fantaisies, tant de jeunesse donc de sourires et de perditions, tant de sexe, de basses politiques, de folies du monde ! Un tourment de l'âme à nos figures ! Alors nous y allons dans ce théâtre de chair, de vents, de lumières, de lyrisme et de douceurs. Ce drame, si bellement français dans sa langue, si Shakespearien dans sa forme et son thème, nous le prenons à bras le corps, nous nous y enfonçons. Et nous voulons tellement emporter le spectateur avec nous, pour le distraire, lui offrir une promenade dans la Renaissance Italienne, avec ses ambiances sombres, superbes, exagérées.
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Appuyés sur la façade de cette église, de cette maison des siècles passés, jaillissant de cette ruelle, apparaissant à cette fenêtre, nous jouons Lorenzaccio. La mise en scène a été conçue autour d'un petit bassin. Cet endroit en est pourvu, tant mieux ! Et quand il n'y en pas, nous installons le nôtre, de pierres grises et rougeâtres. Recouvert de quelques planches, d'un tissu rouge sang, en un instant il deviendra un lit.
Une étoile brille, une cloche sonne, un oiseau crie, nul doute, nous y sommes dans ce théâtre de plein air qui aide tant à la poésie, au Théâtre Populaire ! Nous le savons, c'est la route que nous choisissons depuis plus de vingt ans ! Et quand la pluie nous oblige à l'intérieur de ce théâtre, ou de cette salle des fêtes, les vents nous suivent, et la fête est sauvée !
Dans nos beaux costumes de la Renaissance, chargés de nos sueurs d'hier, nos visages marqués par des maquillages fins et épais à la fois, quelquefois le geste à l'outrance carnavalesque, nous amusant des travestissements imposés, ardemment nous jouons, nous sollicitons les muscles, nous nous coulons dans la veine de l'œuvre. Chaque scène est un tableau, quelquefois soutenu par un air de mandoline. Le Public est un voisin à qui les acteurs parlent parfois directement ; qu'il soit dans le spectacle et non devant. |
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La Troupe du Théâtre des Loges
dans votre ville ou dans votre village ?
Rien de plus simple , rien de plus joli, rien de plus festif !
Nous sommes un doux après-midi d'été. La Troupe des Loges arrive. Quelques saluts, une boisson de réconfort après un long trajet puis, prudente, et vive, elle se met au travail. Sur la place du village, au pied du parvis de cette église, ou bien encore dans ce parc, ce cloître, peut-être dans ce théâtre de verdure, sans fouler aux pieds ni les convenances ni les habitudes, elle prend doucement possession des lieux. Très vite, vient le montage des éclairages, les branchements et les passages sécurisés des câbles. Dans cette salle proche du lieu de représentation, elle a improvisé des loges ; ici, avec goût, elle a camouflé cette gouttière, ou ce vilain panneau indicateur. La journée se termine... L'endroit où la Troupe jouera résonne déjà des bruits de la Comédie... Il est l'heure de dîner. Juste après, il fait nuit sombre, les comédiens règlent les lumières. C'est joli ; des passants s'attardent, ils viendront certainement voir Lorenzaccio... Il est l'heure de se coucher. Les uns ici, chez des hôtes accueillants, les autres dans ce gîte. Le lendemain, vers les onze heures, la Troupe déambule dans les rues, sur les marchés, sur ce coin fréquenté. Elle a bien du succès dans ses habits de Renaissance, ils sont nombreux les sourires et même les bravos qu'on lui adresse ! Quelle jolie fête que cette promenade, prélude à l'instant capital : la représentation, avec son cérémonial, ses surprises, ses mystères. Auparavant, afin de bien utiliser les lieux, il faut passer par les répétitions. C'est après le déjeuner, vers quinze heures, qu'elles débutent. Le temps s'écoule ; un casse-croûte avant de jouer ; enfin le maquillage, les derniers préparatifs, et déjà les premiers spectateurs s'avancent. Tout commence, et tout s'arrête. |
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Paru dans "A nous Paris" du 31 octobre 2010
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- Quand je suis en pointe de gaieté, tous mes moindres coups sont mortels.
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- Il y a dans les le cœur des peuples de larges indulgences pour les princes.
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LA TROUPE DU THÉÂTRE DES LOGES
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Figurez-vous un danseur de cordes, en brodequins d'argent, le balancier au poing, suspendu entre le ciel et la terre ; à droite et à gauche, de vieilles petites figures racornies, de maigres et pâles fantômes, des créanciers agiles, des parents et des courtisanes, toute une légion de monstres, se suspendent à son manteau, et le tiraillent de tous cotés pour lui faire perdre l'équilibre ; des phrases redondantes, de grands mots enchâssés cavalcadent autour de lui, une nuée de prédictions sinistres l'aveuglent de ses ailes noires. Il continue sa course légère de l'orient à l'occident. S'il regarde en bas, la tête lui tourne, s'il regarde en haut, le pied lui manque. Il va plus vite que le vent, et toutes les mains tendues autour de lui ne lui feront pas renverser une goutte de la coupe joyeuse qu'il porte à la sienne. Voilà ma vie, mes chers amis ; c'est ma fidèle image que vous voyez.
Les Caprices de Marianne
Alfred de Musset ( Extrait de la scène 1 de l'Acte I ) |
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Théâtre des Loges - 24, rue du Pré-Saint-Gervais - 93500 Pantin
Tél. 01 48 46 54 73 - contact@theatre-des-loges.fr
www.theatre-des-loges.fr |
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